Depuis tout petit, nous apprenons, sur les conseils de nos parents et de nos enseignants, nous cherchons la « bonne » manière d’apprendre. Mais finalement qu’est-ce que l’apprentissage ? Y a-t-il une seule façon d’apprendre ? Est-ce que l’apprentissage est définitif ? Est-ce que vous pouvez vous souvenir de vos cours de collège ? Est-il possible de créer une nouvelle habitude grâce à une expérience utilisateur prenant en compte ces principes d’apprentissage et du fonctionnement de la mémoire ?
C’est ce que nous allons voir par la suite en nous basant sur la problématique suivante : Apprendre, oublier, réapprendre, comment créer une nouvelle habitude à l’aide d’une expérience ?
Apprendre et retenir dans le temps n’est pas chose aisée. Dans ce cadre, nous verrons tout d’abords différents principes d’apprentissage, ensuite nous nous intéresserons à la mémoire et à la formation d’habitudes. Nous terminerons par quelques exemples concrets dans lesquels l’expérience utilisateur prends une place particulière.
Depuis le 20°s différentes approches d’apprentissage ont été mise en valeur. On observe encore aujourd’hui ces différentes approches qui coexistent et qui se focalise chacune sur des aspects différents de l’apprentissage.
Au début du XX° siècle la psychologie béhavioriste se focalise sur l’apprentissage instrumental et le renforcement extrinsèque. Les processus mentaux ne sont pas pris en compte et ce sont les évènements de l’environnement et les comportements observables qui sont observés. Les béhavioristes ont étudié les relations stimulus-réponse appelé conditionnement. Pavlov décrit le conditionnement ainsi : « On parle de conditionnement lorsqu’on observe l’apparition d’un comportement nouveau, déclenché de manière involontaire sous l’influence d’un signal provenant généralement de l’environnement. » Deux conditionnements ont été distingués :
Le conditionnement classique, aussi appelé conditionnement pavlovien suite à l’expérience menée par Ivan Pavlov sur des chiens. Durant cette expérience avant de leur donner de la nourriture, il sonnait une cloche. Au bout d’un moment les chiens ont associé la cloche à l’arrivée de nourriture, il s’agit d’une réponse conditionnée par la cloche dans ce cas-là. Après de nombreuses répétitions les chiens salivaient avant même de voir la nourriture simplement au son de la cloche. Dans cette expérience la cloche est devenu un stimulus conditionnel avec une réponse conditionnée qu’est la salivation.
Vous avez déjà dû, dans des jeux vidéo, entendre un changement de musique ou un son pour signifier l’arrivée d’un monstre. La première fois que vous l’entendez, vous ne savez pas trop à quoi vous attendre, mais après quelques fois vous savez très bien qu’un monstre va arriver. Le comportement du joueur en sera affecté, il sera stressé et cherchera aux alentours où se trouve la menace.
Le conditionnement opérant aussi appelé apprentissage instrumental où ce sont les récompenses et punitions qui sont utilisées pour modifier un comportement. Le premier à avoir commencé la recherche sur ce sujet est Thorndike et plus tard BF Skinner l’a popularisée. Il est notamment à l’origine de l’expérience de la « boîte de Skinner ». Il a placé un rat dans une cage avec un levier et observait les comportements du rat en renforçant positivement (distribution de nourriture) ou négativement (choc électrique) son comportement. Skinner en a donc conclu que pour être apprise une réponse doit être effectuée et immédiatement renforcée. L’apprentissage instrumental est encore aujourd’hui utilisé dans l’éducation notamment. Mais cet apprentissage a été critiqué car il ne s’intéresse pas à d’autres processus comme l’attention et la mémoire, jouant aussi un rôle important dans l’apprentissage. De plus, les punitions peuvent être des situations stressantes et devenir contreproductive.
Lorsque l’on découvre une nouvelle application si l’on ne réussit pas à faire ce que l’on souhaite nous le vivons comme une punition et nous n’aurons pas envie de revenir dessus.
Le cognitivisme ne se base plus seulement sur ce qui est observable, mais s’intéresse aussi aux processus mentaux (perception, attention, mémoire, motivation, émotion). Dans ce courant de recherche le cerveau est un peu vu comme un ordinateur qui traite des informations entrantes (stimulus) pour en sortir une réponse. Il y a donc un enregistrement des informations en provenance de l’extérieur, un tri et si besoin une réutilisation. Dans le cognitivisme la création d’un environnement d’apprentissage prenant en compte ce qu’il se passe dans notre cerveau (les processus mentaux) est nécessaire à un bon apprentissage.
Nous développerons dans la deuxième partie la mémoire et reviendront sur ces sujets.
Le théoricien Jean Piaget essayait de comprendre la façon dont les enfants construisent leurs connaissances via leurs interactions avec leur environnement. Pour lui l’apprentissage se développe en faisant et en construisant de manière active nos connaissances. Il a défini 4 stades de développement se succédant de la naissance jusqu’à 16 ans : sensori-moteur, pré-opératoire, opérations concrètes et opérations formelles.
Piaget a introduit 3 concepts. Tout d’abord, les schèmes qui correspondent à des structures cognitives qui sont pour l’enfant totalement différentes de l’adulte et qui vont évoluées durant les 4 stades cités précédemment. L’enfant part donc avec des schèmes prédéfinis, afin de développer ses connaissances et créer de nouveau schèmes 2 processus vont être utilisés : l’assimilation (interprétation des nouveaux évènements sur la base des schèmes déjà existants) et l’accommodation (Modification des schèmes existants sur la base des données extérieures). Dans le constructivisme l’expérimentation permettra un apprentissage plus efficace.
A la suite des travaux menés par Piaget sur le constructivisme une approche sociologique a été faite en mettant l’accent sur le rôle joué par l’environnement social et culturel dans l’apprentissage. En effet, pour Lev Vygotsky les individus se développe dans un cadre social, ils ne sont pas seuls. Cette approche est appelée socioconstructivisme.
Dans les deux cas l’apprentissage est considéré comme un processus actif la différence vient principalement que dans le constructivisme ce sont les expériences individuelles qui permettent l’apprentissage alors que dans le socioconstructivisme il s’agit des interactions sociales et culturelles.
Georges Siemens et Stephen Downes (2005), en s’appuyant sur les limites du conditionnement, du cognitivisme et du constructivisme, ont développé une approche sur les apports des nouvelles technologies dans l’apprentissage nommée connectivisme.
Le connectivisme a été critiqué et est plutôt considéré comme une façon d’enseigner ou une évolution des autres courants de recherche dans le contexte actuel avec les nouvelles technologies. Les réseaux de connaissances sont au centre des idées de Siemens et Downes. Ils ont notamment créé un modèle de MOOC les CMOOC avec un modèle collaboratif, des formations et évaluation par des pairs, où l’apprentissage est collectif et les contenus et savoir sont réalisés en co-création. Les apprenants sont aussi plus libres ils peuvent définir leurs propres objectifs et sont moins cadré que les MOOC « classique » où il y a au mieux un forum. D’une certaine manière le connectivisme peut s’intégrer dans le courant du socioconstructivisme.
Nous avons parlé des différentes approches d’apprentissage, mais comme nous l’avons vu dans la partie sur le cognitivisme les processus mentaux joue aussi un rôle. La mémoire notamment car elle permet le stockage et le rappel des informations apprises, c’est la trace de ce qu’il reste d’un apprentissage.
D’après le modèle de système de traitement de l’information d’Atkinson et Shiffrin (1968), il y aurait 3 mémoires :
• La mémoire sensorielle très fidèle, mais qui stocke très brièvement l’information apportée par les sens (quelques centaines de millisecondes) ;
• La mémoire à court terme dont la durée de stockage va varier selon les conditions. Elle peut aller de quelques secondes à quelques minutes. Georges A. Miller (1956) a notamment mis en évidence que la mémoire à court terme ne peut retenir que 7 éléments (plus ou moins 2).
• La mémoire à long terme a une capacité illimitée, elle peut durer toute une vie. Elle va contenir les évènements significatifs de notre existence, mais aussi le sens des mots ou encore les habiletés manuelles.
Il a été constaté que l’on retient mieux s’il est possible de créer des liens avec des informations ou connaissance qui ont déjà été apprises. La mémoire est dite associative. Il a aussi été constaté que la plupart des souvenirs sont des reconstructions.
Lors de la présence d’un stimulus (lumière, son…) la première étape pour l’organisme est de l’enregistrer au niveau de la mémoire sensorielle. Si l’information n’est pas pertinente elle est oublié au bout de quelques millisecondes sinon elle est envoyé dans la mémoire à court terme ou différents évènements peuvent se produire :
• La répétition mentale du stimulus ; quand vous vous répétez un numéro pour ne pas l’oublier sur le moment par exemple ;
• Le transfert de l’information dans la mémoire à long terme, on l’appelle encodage ;
• Il est aussi possible de faire appel à des informations se trouvant dans la mémoire à long terme ;
• La prise de décision pour apporter une réponse.
Notre mémoire est un système qui fait régulièrement du tri et qui oublie les informations. C’est Hermann Ebbinghaus (1885) qui a le premier présenté « la courbe de l’oubli », cette courbe mets en valeur que plus le temps passe plus une information aura tendance à être oublié sauf si des rappels sont fait de façon rapprochée au départ puis de plus en plus éloignés dans le temps au fil des répétitions.. Le fait de créer des liens entre les informations vous permettra aussi de les oublier moins facilement.
On dit souvent que pour prendre de bonnes habitudes il faut répéter régulièrement la « bonne habitude » pour que celle-ci soit ancrée en nous et que nous n’ayons même plus à y penser, mais qu’en est-il vraiment ?
L’habitude est un processus qui est déclenché automatiquement dans un contexte particulier. Les comportements d’habitudes viennent d’un processus impulsif, il demande donc peu d’effort cognitif.
Lorsque l’on parle d’habitude il faut regarder du côté de la mémoire procédurale, car c’est elle qui va gérer les automatismes moteurs et de pensée. Elle se trouve au sein de la mémoire implicite (gère les automatismes et la réalisation d’action) elle-même se trouvant dans la mémoire à long terme.
Une fois l’automatisme créé l’habitude sera facilement prise par le sujet, mais pour le créé il faudra de nombreuses répétitions et suivant la motivation du sujet cela pourrait aussi échouer.
Vous avez surement déjà constaté comme il est difficile de changer ses habitudes par exemple lorsque vous utilisiez un logiciel et que du jour au lendemain une mise à jour est venue tout changer. Vous aviez « appris » comment vous servir de ce logiciel et de ces fonctionnalités et aviez développé des automatismes. Mais ces changements vont remettre en question vos apprentissages et vous forcer à reconsolider de nouvelles informations dans votre mémoire à long terme.
On peut aussi voir des applications qui cherche à changer nos habitudes comme Water Time qui vous rappelle de boire de l’eau ou Forest qui vous aide à rester concentré pendant un certain temps.
La gamification est aussi utilisée pour aider à changer des habitudes comme sur Habitica où l’utilisateur peut définir ses objectifs puis peut gérer sa vie « comme un jeu » avec des récompenses ou des punitions (conditionnement opérant) pour augmenter votre motivation et vous poussez à atteindre vos objectifs.
Un autre exemple qui va entrainer pas mal de changement pour les conducteurs de voiture, c'est l’apparition des voitures autonomes comme on peut le voir avec la Tesla Model 3. En effet, celle-ci n’a plus de tableau de bord, mais seulement une tablette centrale regroupant l’ensemble des commandes. Et il n’y a plus de frein à main ni de pommeau de vitesse. Cela crée un design très sobre et épuré, mais il va falloir que les utilisateurs retrouve leurs marques, réapprenne et forme de nouvelles habitudes de conduite.
C’est un grand challenge pour les constructeurs de créer une expérience utilisateur qui permettent aux anciens conducteurs de voiture « classique » de trouver leur marque et de ne pas se sentir perdus.
Au fil des recherches sur l’apprentissage, l’apprenant est passé d’un état ou il est vu comme passif à un état actif qui lui permet d’apprendre en faisant, testant et se trompant.
Je trouve très intéressant d’étudier les différents principes d’apprentissage et de comprendre comment fonctionne la mémoire et la formation d’habitude. En effet, je crois que c’est en tenant compte de ces éléments que nous pourrons en tant qu’UX Designer, développer une expérience qui accompagne l’utilisateur dans des apprentissages.
Je pense qu’il est important, pas seulement pour les chercheurs et concepteur d’expérience, de s’intéresser aux principes d’apprentissage et de mémorisation. En effet, il y a beaucoup de choses à faire dans le domaine éducatif par exemple pour aider les apprenants à mieux mémoriser des connaissances. Surtout avec les nouvelles technologies et les possibilités qu’elles offrent.
Atkinson, R.C. & Shiffrin, R.M. (1968) « Human memory : a proposed system and its control processes »
Duplàa , E & Talaat , N (2011) « Connectivisme et formation en ligne »
Ebbinghaus, H. (1885). « Memory : A contribution to experimental psychology »
Gardner, B. (2019). « Habit Formation and Behavior Change »
Pavlov, I.P. (1927). « Conditioned reflexes »
Piaget, J. (1937). « La construction du réel chez l’enfant »
Skinner, B.F. (1974). «About Behaviorism »
Thorndike, E.L. (1913). « Educational psychology : The psychology of learning (Vol.2) »
Vygotski, L. (1934). « Pensée et langage »